Jun 18, 2014

39 Madagascar



Gilson et Malagasy, Jazzman Records, 2014

Dans l'histoire du jazz, nombreux sont les musiciens qui se sont tournés vers le continent africain pour y trouver une source d'inspiration. Je pense surtout ici à des musiciens afro-américains tels que John Coltrane, Miles Davis, Don Cherry, Phil Cohran et son Artistic Heritage Ensemble ou encore le Art Ensemble of Chicago. Cette démarche est logique puisqu'elle s'inscrit dans un processus naturel de retour aux sources. Le musicien français Jef Gilson s'est également tourné vers l'Afrique vers la fin des années 1960. Cependant, c'est comme invité qu'il se rend à Madagascar. Ce qui ne devait être au départ qu'une série de concerts, en plus de quelques ateliers musicaux, s'est rapidement transformé en une aventure résultant en plusieurs heures d'enregistrements et la parution de trois albums pendant la première moitié des années 1970. En avril dernier, l'équipe de Jazzman Records, en collaboration avec la succession de Jef Gilson, a fait paraître un magnifique coffret documentant ce qu'on pourrait catégoriser comme la période malgache de Jef Gilson. Ce coffret inclus les trois albums du groupe Malagasy ainsi que près d'une heure trente d'enregistrements inédits.
C'est en mai1968, alors que la France est en pleine révolution sociale, que Jef Gilson accompagné de deux autres musiciens se rend pour la première fois à Madagascar. Le contexte en France étant plutôt chaud fait en sorte que les trois musiciens demeurent dans l'île plus longtemps que prévu. Ce premier séjour a permis à Gilson de découvrir le talent des musiciens locaux pour lesquels il ne fera que des éloges :
'' Nous avons rencontré au moins vingt musiciens dont le niveau est celui d'excellents amateurs et cinq ou six d'entre eux, avec un peu de pratique égaleraient facilement le niveau des meilleurs musiciens européens et pourraient même atteindre celui du niveau afro-américain.''
Après ce premier séjour qu'on pourrait catégoriser d'exploratoire, Gilson rentre en France avec l'idée de retourner à Madagascar pour y former un groupe. Il retournera sur l'île l'année suivante, armé d'une console Revox, de deux microphones ainsi que de quelques disques dont Karma de Pharaoh Sanders. Le résultat de ce voyage est le premier disque de Malagasy qui s'apparente quelque peu au jazz enregistré par John Coltrane pour le label Impulse! à la même époque. Le groupe se permet même une reprise très inspirée de The Creator has a master plan issu de l'album Karma de Pharaoh Sanders.
En 1972, alors que le contexte politique de Madagascar est frappé d'instabilité, plusieurs jeunes musiciens malgaches quittent le pays pour tenter leur chance à Paris. Jef Gilson en profite pour assembler une nouvelle mouture de Malagasy, qui prendra cette fois la forme d'un sextet mettant en vedette de jeunes musiciens dont le multi-instrumentiste Sylvin Marc. Le groupe fait beaucoup de concert et enregistre rapidement un album en concert au club Newport de Paris. Par la suite, les jeunes musiciens manifestent leur désir de s'émanciper d'un jazz un peu conventionnel pour plutôt jouer leurs compositions dans un registre beaucoup plus exploratoire. Gilson leur offre alors la chance d'enregistrer un album pour son label Palm. Le disque de Malagasy intitulé Zao Malagasy Now-Maintenant est probablement le plus difficile à assimiler de la discographie du groupe. Cependant, c'est probablement celui où l'inspiration du folklore malgache est la plus évidente, principalement grâce à l'utilisation d’instruments traditionnels comme en témoigne la pièce Valiha Ny Dada.
.
Plusieurs décrivent souvent Jef Gilson comme le grand oublié de l'histoire du jazz français. J'aime plutôt penser qu'il s'agit d'un musicien qui a eu le sagesse de savoir s'effacer pour faire ressortir le meilleur des musiciens qu'il accompagnait et/ou dirigeait. Car si Gilson était un pianiste habile, il était surtout un excellent compositeur, arrangeur, chef d’orchestre et même mentor. Il avait le flair pour repérer de nouveaux talents et les guider afin de leur permettre de révéler leur plein potentiel. Ce superbe coffret permet donc d'apprécier les enregistrements exceptionnels de la période malgache de Gilson, mais également de saisir la démarche de ce musicien hors norme dans la réalisation de ces enregistrements.

Vous pouvez écouter l'intégral de ce coffret sur le site Bandcamp de Jazzman. Cependant, je vous recommande vivement l'achat du disque si ce n'est que pour les excellentes notes rédigées en français par Jérôme ''Kalcha'' Simonneau.

Par ici pour le site bandcamp de Jazzman Records.